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07-07-2010 - Toute une bibliothèque en feu…
On se souvient des trois extraordinaires séries
de pastiches littéraires publiées en 1908,
1910 et 1913 par Paul Reboux (1877-1963) et Charles Müller
(1877-1914) sous le titre
« À la manière de… »,
des textes qui firent sourire des générations
de lecteurs tant les travers et les tics d’écriture
des auteurs ciblés étaient rendus avec une
malicieuse justesse et un évident esprit d’à-propos.
Quelques tentatives leur succédèrent, mais
qui ne leur arrivèrent pas à la cheville,
et l’on croyait le genre définitivement abandonné.
Or, ne voilà-t-il pas qu’une jeune professeure,
Christine Brusson, véritable Han van Meegeren des
lettres françaises (vous savez bien : c’est
le peintre hollandais, roi des faussaires, qui vendit un
Vermeer de sa fabrication, « Le Christ et la parabole
de la femme adultère », à Hermann Göring
durant la Seconde Guerre mondiale), vient de faire paraître
aux Éditions des Équateurs à Sainte-Marguerite
sur Mer un époustouflant recueil intitulé
Les dessous de la littérature pour lequel elle a
rédigé la scène ou le fragment érotique
qui manquait dans l’œuvre de 32 auteurs classiques
comme Chrétien de Troyes, Charles d'Orléans,
Jean de Sponde, Théophile de Viau, Montesquieu, La
Bruyère, Pascal, Rousseau, Laclos, Hugo, Chateaubriand,
Balzac, la comtesse de Ségur, Baudelaire, Nerval,
Flaubert, Jules Verne, Rosny Aîné, Alfred Jarry,
Raymond Radiguet, Marcel Proust...
À chaque fois, avec une maestria à couper
le souffle, elle a ressuscité le ton, la prosodie,
la métrique, la syntaxe et le vocabulaire propre
au texte copié, qui prend sous sa plume un tour nouveau,
qu’il s’agisse de l’explication du Graal
par Perceval, de pensées nouvelles de Blaise Pascal
sur l’amour de Dieu, d’une leçon de vocabulaire
français dans les Lettres persanes, du viol
d’Esméralda par l’archidiacre Claude
Frollo dans Notre-Dame de Paris, d’une scène
de voyeurisme dans Les Confessions, de la perte
de sa virginité par Atala au cours d’une nuit
d’orage, d’une rêverie érotique
de Frédéric Moreau dans L’Éducation
sentimentale, d’un accouplement bestial dans
La Guerre du Feu, du mariage d’une poupée
dans Les Malheurs de Sophie, de la description
d’un « orgasmomètre » dans
Vingt mille lieues sous les mers…
Un livre magistral !
Bernard DELCORD
Les dessous de la littérature par Christine
Brusson, Sainte-Marguerite sur Mer, Éditions des
Équateurs, mai 2010, 268 pp. en noir et blanc au
format 13,7 x 19,8 cm sous couverture brochée en
couleurs, 19,00 € (prix France)
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Critique de Pierre Michel parue dans les CAHIERS
OCTAVE MIRBEAU N°18 – 2011 (Edités par
la Société Octave Mirbeau, 10 bis, rue André-Gautier,
49000 Angers)
• Christine BRUSSON, Les Dessous de la littérature
- Pastiches cochons, Éditions des Équateurs,
2010, 268 pages.
Le pastiche est un exercice littéraire difficile.
Car il faut connaître à la fois les sources
d'inspiration d'un auteur, ses thèmes de prédilection
et, surtout, ses procédés stylistiques, voire
ses tics, pour que le lecteur cultivé puisse, à
le lire, reconnaître l'écrivain pastiché,
peut-être même, à l'extrême, lui
attribuer le pastiche, pour peu que ce dernier ne verse
pas du côté de la parodie, laquelle ne se distingue
du pastiche que par la volonté de caricaturer le
modèle pour en faire ressortir les côtés
ridicules. Mais la frontière qui les sépare
est bien fluctuante et l'on passe aisément, presque
insensiblement, de l'hommage à la satire. Avec son
recueil de « pastiches cochons », Christine
Brusson, professeur de lettres, redouble la difficulté.
Car ce ne sont pas des auteurs « cochons » qu'elle
s'amuse à pasticher, ce qui serait d'un intérêt
fort limité, mais des écrivains tout à
fait respectables, tels que Balzac ou Proust, Pascal ou
Huysmans, Rousseau ou Flaubert, Baudelaire ou Rosny aîné,
Quinault ou la comtesse de Ségur, qui n'ont pas l'habitude
de s'aventurer sur les terrains de la « cochonnerie
», comme dit l'abbé Jules. Comment dès
lors, leur faire subir un dérapage suffisamment contrôlé
pour qu'on les reconnaisse tout de même sans avoir
pour autant à leur faire subir les ultimes outrages
? Ce dévoiement, Christine Brusson le qualifie de
« pastiche par procuration » et explique
que, ce faisant, elle donne la parole, sur le sujet tabou
par excellence qu'est le sexe, à des auteurs qui
n'ont pu le faire de leur vivant « pour des raisons
diverses (censure, pudeur, mort prématurée)
». Alors, évidemment, certains ne manqueront
pas de pousser des cris d'orfraie en lisant le surprenant
récit de la partouze géante prêté
à Honoré d'Urfé, ou en entendant le
Jupiter de Quinault s'écrier, au terme d'une épanouissante
expérience sodomitique avec Io : « Ah!...
se livrer aux joies d'un brusque enculement / C'est un plaisir
qu'on devrait goûter plus souvent ». Il
n'est pas sûr, en ce dernier exemple, que l'improbable
transgression des règles de la prosodie classique
soit seule incriminée...
Reste que, en imaginant l'expérience du triolisme
par le Persan Rica aux prises avec trois Parisiennes, les
rêveries érotiques et vengeresses de Frédéric
Moreau, perpétuellement frustrée par Mme Arnoux,
ou le récit, par elle-même, du dépucelage
de Sophie de Volanges par Valmont, ou celui de Gina Lollobrigida
- enfin, d'Esmeralda - par le lubrique et ignorant Frollo,
ou encore la décevante expérience de Des Esseintes
avec une jeune tzigane achetée à sa mère,
elle reste effectivement dans les bornes du plausible, se
contentant de développer des potentialités
narratives que les auteurs ne pouvaient effectivement pas
se permettre pour d'évidentes raisons de censure.
Mais plus difficiles que les récits érotiques
stricto sensu, me semble-t-il, sont les pensées de
Pascal, dûment numérotées, sur les illusions
de l'amour et de la jouissance, ou les maximes et caractères
prêtés à La Bruyère, car ils
ne mettent pas seulement en jeu des variations, somme toute
limitées, sur les désirs et plaisirs du sexe,
mais impliquent une démarche de moraliste soucieux
de dégager, des cas particuliers, des leçons
d'ordre général.
Les mirbeauphiles sauront gré à Christine
Brusson de n'avoir pas vraiment dénaturé le
journal de nostre Célestine, car elle prête
à l'accorte et délurée soubrette des
expériences érotiques qu'elle aurait en effet
très bien pu vivre et narrer, avec ou sans la complicité
de Joseph. Paul Reboux et Charles Muller ont jadis perpétré
un chef-d'œuvre de parodie avec leur « à
la manière de » Mirbeau en 1910, en s'inspirant
des interviews imaginaires de Georges Leygues et du général
Archinard et en leur empruntant à la fois l'hénaurmité
de la charge et leur portée hautement subversive.
Christine Brusson, pour sa part, a préféré
se placer dans la peau de l'héroïne mirbellienne
et mettre sous sa plume des aventures bien susceptibles
de satisfaire à la fois son appétit de jouissance
et sa distance critique face aux concupiscents spécimens
de la gent masculine auxquels elle est, une fois de plus,
confrontée.
Pierre Michel
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lu
sur le site http://www.nuits-mademoiselle.com/le-journal/pastiches-cochons/
On rassure de suite notre lectorat concernant le titre,
il n’est pas là question d’un auvergnat
en quête d’un Ricard lubrique, mais du sous-titre
du dernier livre de Christine Brusson s’intitulant
: ‘Les Dessous de la Littérature’.
L’idée est follement séduisante : reprendre
les grands classiques et les compléter par des scènes
explicites écrites ‘à la manière
de…’. Un exemple ? On sent bien que l’œuvre
A la Recherche du Temps perdu regorge de non-dits
et de scènes suggérées. Le début
du XXe siècle ne permettait pas d’entrer dans
le détail. Christine Brusson, en ‘narratologue’
avertie, recompose le style de Marcel Proust, sous des optiques
érotiques.
Il en sera ainsi pour Baudelaire, Jules Verne, Montesquieu,
Chrétien de Troyes, Pascal, la comtesse de Ségur…
On en connaît qui doivent rougir dans leur tombe,
et d’autres pousser un grand cri du style : "ENFIN,
enfin quelqu’un a osé le faire ! ".
L’humour est au rendez-vous, l’émerveillement
est présent à chacune des pages. Le livre
vient de sortir aux Editions des Equateurs.
De quoi redécouvrir les classiques, sous une optique
bien plus affriolante.