Entretien sur La maison en
chantier le
5/06/2009
Comment la forme
de ce livre vous est-elle venue ?
J'
avais l'idée d'écrire un livre sur les
écrivains bâtisseurs. Il y en existe quelques-uns :
Henri David Thoreau qui a construit cette cabane à
côté de l'étang de Walden ;
Thomas Bernhard qui a rénové trois énormes
fermes ; Wittgenstein qui a fait les plans de la
maison de sa sœur et s'est fait construire une
maison en bois sur une falaise, en Norvège. Il
y a le richissime William Beckford, l'auteur de Vathek,
qui a entrepris de raser et de reconstruire l'immense
propriété de Fonthill. Les travaux ont duré
plusieurs années. J'en ai découvert d'
autres, par hasard, John Burrowghs, Grey Owl. L'écrivain
a un lien avec le bâtisseur, l'écriture
avec la rénovation ou la construction d'un espace
à habiter, on l'a souvent souligné. Hugo
par exemple, dans Notre-Dame-de-Paris, explore
cette comparaison entre la cathédrale et le livre,
et tout de suite on pense à Proust. J'ai
commencé à réfléchir là-dessus
et à consigner des notes, à trouver des
pistes. En fait j'y réfléchissais depuis
très longtemps car j'ai commencé moi-même
le chantier à dix-sept ans, et ai mené ces
deux activités en parallèle, rénover
des maisons et écrire. Finalement, le livre s'
est transformé. Je l'ai recentré sur ma
propre expérience. Qu'est-ce que le chantier avait
été pour moi ? Qu'est-ce qu'il m'
avait apporté ? Comment je m'étais
construite à travers lui ? Comment je m'étais
reconstruite en rénovant des maisons ? Ce
sont ces aspects que j'ai développés.
Comment avez-vous
abordé et travaillé la structure de ce livre ?
J'
avais écrit les titres des « chapitres »
qui me venaient à l'esprit en me remémorant
ces vingt-cinq années de vie de chantier :
« La matière », « la
fatigue », « l'épuisement »,
« la poussière », « l'
ancien et le moderne ». Les images venaient
tout de suite, c'était déjà là,
cela n'avait plus qu'à prendre forme. J'ai vu
quelle forme aurait le livre : une succession de
courts textes autour d'un thème, d'une idée
générale, avec, pour chacun d'entre eux,
une phrase en exergue. Je voulais que ce livre soit aussi
un dialogue avec les bâtisseurs que j'aime (le
facteur Cheval, Antonio Gaudi, Thomas Bernhard, Thoreau...),
les oeuvres qui m'ont nourrie, et que tout cela fasse
une pâte homogène et fluide. Un livre fluide,
gai, sur la matière et le monde.
C'
est mon livre le moins pensé, le plus spontané.
Il n'a pas demandé des années de préparation
et de multiples réécritures. La forme découpée
en petites sections est beaucoup plus simple à
travailler. Il y a une cohérence à trouver
entre ces différents morceaux mais l'ensemble
reste composite, fait de choses juxtaposées. Ne
se pose pas le difficile problème des transitions
qui font, pour moi, toute la difficulté du roman
par exemple.
Dans
tous mes romans, il y a une montée et une descente
avec, au centre, une ligne de crête. Cette construction
a été respectée dans ce livre aussi,
sans volonté de ma part. Cela s'est trouvé
ainsi, dans la partie que j'ai ajoutée en dernier,
un peu comme l'étoile qu'on pose au sommet du
sapin. Ce dernier chapitre que j'ai écrit est
« la maison du bonheur ». J'avais
complètement oublié cette histoire alors
qu'elle était capitale. Elle est venue à
la fin prendre sa place. La crête du livre est la
crête que j'évoque dans ce chapitre. Elle
est située exactement au milieu du livre. Après
l'avoir franchie, on redescend l'autre versant.