« A cœur vaillant rien
d’impossible » Ferdinand Cheval
Je ne connais qu’un homme qui ait rendu hommage
à son meilleur outil, c’est le facteur Cheval. Allez
à Hauterives, pas très loin de Valence, allez visiter
son Palais idéal. Si vous aimez l’architecte catalan
Gaudi, vous aimerez Cheval. Au même moment, sans se connaître,
la même passion les inspire et leurs constructions étrangement
se ressemblent. La nature les guidait l’un et l’autre.
Comme les créateurs des grottes maniéristes de la
Renaissance, ils célébraient la nature artiste,
rêvant aux pierres, aux concrétions de la matière,
aux entrelacs de branches, aux formes sculpturales des rochers,
des fleurs et des feuilles. C’est drôle cette tradition
maniériste qui ressurgit à la fin du XIXème
siècle. « Mon école, ce furent la mer, les
vents et les marées, a dit Gaudi. Entouré de fleurs,
de vignes, d’oliviers à Réus, j’ai été
stimulé enfant par le caquètement de la volaille,
le pépiement des oiseaux, le bourdonnement des insectes,
avec la vue des montagnes de Prades au lointain. J’ai saisi
dans ces endroits les plus pures et les plus délicieuses
images de la Nature. Cette nature est toujours ma maîtresse.
» Ferdinand Cheval, facteur à Hauterives, passait
ses journées dans la campagne à marcher 30 à
44 kilomètres. « Que faire, dit-il, en marchant perpétuellement
dans le même décor, à moins que l’on
ne songe. C’est justement ce que je faisais. Pour distraire
mes pensées, je construisais en rêve un palais féerique,
dépassant l’imagination, tout ce que le génie
d’un humble peut concevoir. » Et voilà que
butant sur une pierre, sa pierre d’achoppement, comme il
l’appellera plus tard, la nature lui fournit le matériau
dont il avait besoin pour concrétiser son rêve.
Ferdinand Cheval, d’abord dans des paniers puis dans sa
brouette, charrie pendant quarante ans les pierres que la nature
lui donne en l’inspirant. Tout commence par la construction,
dans son potager, d’un bassin et d’une cascade qu’il
appelle « la source de vie ». Puis il réalise
la grotte de Saint Amédée, le saint patron du village,
puis une seconde cascade, « la source de la sagesse.»
Il n’était pas maçon. Il n’avait jamais
touché une truelle. Il se traitait de fou, d’insensé,
les autres le trouvaient ridicule. Mais quand il buta sur cette
première pierre de forme si bizarre, son rêve lui
revint en mémoire et il sut que « puisque la nature
voulait faire la sculpture, il ferait la maçonnerie et
l’architecture. » Il composait pendant sa tournée
des petits tas de cailloux qu’il retournait chercher le
soir dans sa brouette. Avec elle, il travailla nuit et jour pendant
vingt-sept ans.
La voilà élevée au rang d’une domestique
fidèle. Il lui a construit un tombeau. Elle trône
dans une aile de son Palais. Il lui apprend même à
parler :
"Moi, sa brouette, j’ai eu cet honneur
D’avoir été 27 ans sa compagne de labeur.
Rappelle-toi que vouloir, c’est pouvoir.
Aide-toi, le ciel t’aidera."
Lettre autobiographique du
Facteur Cheval (le 15 mars 1905)
« Fils de paysan, paysan, je veux vivre et
mourir pour prouver que dans ma catégorie il y a aussi
des hommes de génie et d'énergie. Vingt-neuf ans
je suis resté facteur rural.
Le travail fait ma gloire et l'honneur mon seul bonheur ; à
présent, voici mon étrange histoire. Où le
songe est devenu, quarante ans après, une réalité.
J'avais bâti, dans un rêve, un palais, un château
ou des grottes ; je ne peux pas bien vous l'exprimer ; mais c'était
si joli, si pittoresque, que dix ans après, il était
resté gravé dans ma mémoire et que je n'avais
jamais pu l'en arracher.
Je me traitais aussi, moi-même, de fou, d'insensé
Je n'étais pas maçon, je n'avais jamais touché
une truelle ; sculpteur, je ne connaissais pas le ciseau ; pour
l'architecture, je n'en parle pas, je ne l'ai jamais étudiée.
Je ne le disais à personne, par crainte d'être tourné
en ridicule et je me trouvais aussi ridicule moi-même.
Voilà qu'au bout de quinze ans, au moment où j'avais
à peu près oublié mon rêve, que j'y
pensais le moins du monde, c'est mon pied qui me le fait rappeler.
Mon pied avait accroché un obstacle qui faillit me faire
tomber ; j'ai voulu savoir ce que c'était. C'était
une pierre de forme si bizarre que je l'ai mise dans ma poche
pour l'admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé
au même endroit, j'en ai encore retrouvé de plus
belles, je les ai assemblées sur place, j'en suis resté
ravi.
C'est une pierre molasse, travaillée par les eaux et endurcie
par la force des temps, elle devient aussi dure que les cailloux.
Elle présente une sculpture aussi bizarre qu'il est impossible
à l'homme de l'imiter : elle représente toutes espèces
d'animaux, toutes espèces de caricatures.
Je me suis dit: puisque la nature veut faire la sculpture, moi,
je ferai la maçonnerie et l'architecture.
Voici mon rêve. A l'oeuvre, me suis-je dit.
De ce jour, j'ai parcouru les ravins, les coteaux, les endroits
les plus arides ; je trouvais aussi le tuf pétrifié
par les eaux, qui est aussi merveilleux. J'ai commencé
les charrois dans mon mouchoir de poche ; le tuf se trouvait pointu,
en peu de jours j'en ai criblé une douzaine, ce qui ne
faisait pas trop plaisir à ma femme. C'est là qu'ont
commencé mes déboires. Je transportais des paniers.
Je vous dirai aussi que ma tournée de facteur était
de plus de 30 kilomètres par jour et que j'en parcourais
des douzaines avec mon panier plein de pierres sur le dos, ce
qui représentait une quarantaine de kilos chaque fois.
Je vous dirai aussi que chaque commune possède son espèce
de pierre toujours très dure.
Je faisais, en parcourant la campagne, des petits tas de ces pierres
; le soir, avec ma brouette, je retournais les chercher. Les plus
proches étaient à 4 ou 5 kilomètres, quelques
fois jusqu'à 10 kilomètres. Je partais parfois à
2 ou 3 heures du matin.
Je ne puis vous dire tous les détails, les péripéties
et la misère que j'ai endurées, ce serait trop long
à énumérer, mon instruction restreinte ne
me permettant pas de bien m'exprimer.
Je vous dirai tout simplement que j'ai tout charrié moi-même
de la manière indiquée ci-dessus, que, nuit et jour,
j'ai travaillé vingt-six ans, sans trêve ni merci.
Les visiteurs qui viennent un peu de tous pays et dont le nombre
va en augmentant chaque année ont peine à croire
ce que leurs yeux voient ; il leur faut le témoignage des
habitants du pays pour croire qu'un seul homme ait pu avoir le
courage et la volonté pour construire un pareil chef-d'œuvre
; ils s'en vont tous émerveillés en disant : c'est
incroyable, c'est impossible, c'est merveilleux.
Voici les dimensions de mon Palais
Façade est : 26 mètres de longueur. Façade
ouest : 26 mètres de longueur. Façade nord : 14
mètres de longueur. Façade sud : 10 mètres
de longueur.
La façade nord et sud forment le quart du monument, la
largeur est en moyenne de 12 mètres, la hauteur varie de
8 à 10 mètres.
Entre la façade est et ouest, il se trouve une grande galerie
de 20 mètres de longueur sur 1 m 50 de largeur; aux deux
extrémités se trouve une espèce de labyrinthe.
Dans cette hécatombe, vous y trouverez toutes sortes de
variétés que j'ai sculptées moi-même
comme aux temps primitifs, tels que cèdres, éléphants,
ours, bergers des Landes, cascades, toutes espèces de coquillages
et d'animaux.
Dans le second labyrinthe, toujours attenant à la galerie,
on y trouve des figures d'antiquité au nombre de sept ;
en dessous, des autruches, des flamands, des oies, des aigles.
La sculpture est si bizarre qu’on croit vivre dans un rêve.
Au dessus des hécatombes, toujours entre l'est et l'ouest,
et au milieu du Palais, à 4 mètres de hauteur, se
trouve une grande terrasse d'une longueur de 23 mètres
et d'une largeur de 3 mètres, où donnent accès
des escaliers qui permettent de monter, d'un côté,
à la tour de barbarie, de l'autre, au sommet d'un petit
génie qui éclaire le monde.
On accède à la terrasse par quatre escaliers tournants,
comme creusés dans un rocher.
La façade est bâtie en pierre de rachat, excessivement
dure, qui forme toutes espèces de caricatures, en partie
des animaux, travaillés par le temps, beaucoup en boules.
Le milieu de la façade est constitué par les premières
pierres trouvées. Elles représentent une cascade.
J'ai mis deux ans pour la faire. La petite grotte à côté,
trois ans. La grande grotte, où il y a trois géants,
c'est un peu de l'Egyptien. Les deux femmes qu'il y a en dessus
sont Veleda la Druidesse et Inize.
A côté encore, toujours à gauche, j'avais
commencé un tombeau druide, mais le manque de l'espèce
de pierre m'a empêché de le finir. J'ai mis quatre
ans pour faire cette partie.
En dessous de la tour de Barbarie se trouve une oasis où
sont représentés des figuiers de Barbarie, des cactus,
des palmiers, des oliviers gardés par la loutre et le guépard.
A droite où vous voyez quatre colonnes, c'est un tombeau
que j'ai creusé comme si c'était un rocher, pour
me faire enterrer à la manière des rois Pharaons.
Sous terre, il y a un caveau à trois mètres de profondeur,
avec deux cercueils en pierre et leur couvercle à la mode
des Sarrazins, avec double porte en fer et en pierre.
En dessus du caveau qui correspond avec la galerie, on trouve
des personnages et beaucoup de sculptures, une crèche avec
toutes espèces de coquil-lages qui font un effet éblouissant
; ce tombeau est dans le genre des temples hindous, les sujets
sont chrétiens. On y voit deux couronnes en pierre, au
milieu du rocher la grotte de la Vierge Marie, les quatre évangélistes,
un calvaire, la mort et l'Abondance, des pèlerins, des
anges, au sommet l'urne mortuaire ; en dessus, un petit génie
construit tout en petites boules de pierre très dure, aussi
de l'espèce de rachat. Il mesure 1 m 80 de hauteur, sa
longueur est de 5 mètres, sa largeur 4 mètres. J'ai
mis sept ans pour le bâtir.
La façade nord, composée de tuf avec des pierres
de rivière, a un soubassement en petites grottes. On y
voit aussi bien des choses : des pélicans en pierre ou
façonnés par moi, le cerf, la biche, le petit faon,
un crocodile. La droite a des pierres qui ressemblent à
des animaux, la gauche un petit château féodal. Ces
deux façades nord et est m'ont coûté vingt
ans de travail.
La façade ouest, représentée par des vases,
vous y trouvez : la mosquée arabe avec son croissant et
ses minarets. C'est l'entrée du Palais Imaginaire. Vous
voyez, en dessous, un temple hindou, puis un chalet suisse ; plus
loin, c'est la Maison Blanche, la Maison Carré d'Alger,
enfin un château au Moyen Age.
La façade sud, que vous voyez aussi surmontée de
deux aloès, avec sa coupole et un tronc d'arbre, en dessus
des pierres naturelles ressemblant à des animaux.
En dessous, c'est mon musée antédiluvien où
j'enferme mes silex et les pierres diluviennes. Ces deux façades
sud-ouest m'ont coûté encore six ans de travail.
Espérance, patience, persévérance : j'ai
tout bravé, le temps, la critique et les années.
Le coût du palais n'est pas bien fort, mon travail ne compte
pour rien. Je l'ai construit à temps perdu dans mes moments
de loisirs que me laissait mon service de facteur.
Quand j'ai quitté la Poste pour prendre ma retraite, j'ai
construit ma maison et j'ai entouré mon Palais de grandes
murailles. Je cultive et j'entretiens mon clos afin que les visiteurs
qui me prennent une partie de mon temps trouvent tout en harmonie
avec mon Palais. Je les accompagne pour leur expliquer en détail
ce qu'ils voient.
Je n'ai absolument acheté que la chaux et le ciment. Il
y a environ 3500 sacs que j'ai employés seul à mon
Palais, ce qui représente une somme de 5000 francs.
L'ensemble du monument fait environ 1000 mètres cubes de
maçonnerie.
Quand j'ai commencé ce travail, j'avais quarante-trois
ans ; aujourd'hui, je suis dans ma soixante neuvième année.
»
Extraits du fascicule « Vies
croisées de A.Gaudi et de F.Cheval »
de Pierre Chazaud, édité à Valence par les
Editions Mandala (4,rue Gaston Rey, 26000 Valence, 06-81-20-91-30).
(Reproduits avec l'aimable autorisation de l'auteur)
1876
Maintenant âgé de 40 ans, Joseph Ferdinand Cheval
venait d'avoir, le 1er Août 1876, sa mutation de facteur
rural à St-Rambert d'Albon. Il était veuf depuis
trois ans.
La même année, Gaudi rentrait à l'âge
de 24 ans dans la vie professionnelle d'architecte. Celui-ci subissait
alors deux drames familiaux : d'abord son frère âgé
de 25 ans mourrait subitement, puis sa mère décédait
de chagrin, deux mois après son fils.
A Barcelone, dans sa petite chambre, le soir, à la lueur
vacillante d'une lampe à huile, Gaudi notait sur un calepin
à carreaux les commandes, ainsi que cette réflexion
prémonitoire :
GAUDI :
"Il faut beaucoup travailler, pour se tirer d'affaire."
A peine sorti de l'école d'architecture de Barcelone,
les clients commençaient à affluer. Earic Girosi
lui demanda un modèle de kiosque, Pau Miro le chargea de
réaliser le toit à colonnes d'un théâtre,
le fabricant de gants Estève Comelli lui commanda une vitrine.
Les retours chez ses parents à Réus s'espaçaient
de plus en plus. Ses oeuvres se nourrissaient déjà
de son expérience de la vie rurale et étaient influencées
par son observation de la nature.
GAUDI :
"Mon école, ce furent la mer, les vents et les marées."
"Entouré de fleurs, de vignes, d'oliviers à
Réus, j'ai été stimulé enfant par
le caquètement de la volaille, le pépiement des
oiseaux, le bourdonnement des insectes, avec la vue des montagnes
de Prades au lointain. J'ai saisi dans ces endroits les plus pures
et les plus délicieuses images de la Nature. Cette nature
est toujours ma maîtresse ».
Quant à Ferdinand Cheval, en 1878, il était nommé
facteur à Hauterives, affecté à la Le tournée
de Tersanne, qui représentait en fonction du volume de
courrier une marche de 30 à 44 km, soit 6 à 8 heures
par jour, à travers un territoire coupé de ravins
et de cours d'eau comme la Galaure ou la Vermeille, deux rivières
infranchissables en hiver. F. Cheval avait toujours une petite
bouteille d'eau de vie pour se laver le visage chaque matin.
F. CHEVAL :
"Facteur rural comme mes 27 000 camarades, je déambulais
chaque jour de Hauterives à Tersanne, dans une région
où la mer a laissé des traces évidentes de
son séjour, courant tantôt dans la neige et la glace,
tantôt dans la campagne fleurie."
Le 28 septembre 1878, il épousait en secondes noces Claire
Philomène Richaud, une fermière, veuve depuis peu.
Il l'avait connue lors de sa tournée. Ferdinand Cheval
continuait à marcher inexorablement entre Hauterives et
Tersanne, en rêvant à la manière d’un
somnambule, incrusté dans la nature.
F. CHEVAL :
« Je me demandais à quoi ressemblait la région
que je traversais entre Hauterives et Tersanne, aux temps préhisto¬riques,
lorsqu'elle était recouverte par la mer. »
Gaudi commençait alors à acquérir, peu à
peu, une réputation à Barcelone. Il n'était
pas seulement un dessinateur de plans, mais aussi un sculpteur
réalisant des modèles en argile et en plâtre.
C'était déjà un ingénieux bricoleur.
GAUDI :
"Grâce à deux règles et un fil, on peut
générer toutes les architectures."
Gaudi était capable de fabriquer aussi bien des lampadaires,
des meubles, que des édifices compliqués, avec un
style très personnel où la nature était toujours
présente de multiples façons.
GAUDI :
"L'architecture crée l'équivalent d'un organisme,
lequel doit obéir à une loi qui établisse
des correspondances avec la nature."
"Quand je suis allé prendre les mesures du terrain
pour construire la maison Vicens, je l'ai trouvé entièrement
couvert de petites fleurs jaunes. Je m'en suis servi comme motif
décoratif pour la céramique. J'y ai aussi trouvé
un exubérant palmier nain, dont les palmes reproduites
en fer recouvrent le grillage de la porte d'entrée de la
maison."
Ferdinand Cheval, au cours de ses trajets journaliers, marchait
de manière inconsciente, machinale, presque comme un automate,
dans une espèce torpeur, qui l'amenait à rêver.
F. Cheval :
"Que faire en marchant perpétuellement dans le même
décor, à moins que l'on ne songe. C'est justement
ce que je faisais. Pour distraire mes pensées, je construisais
en rêve, un palais féerique, dépassant l'imagination,
tout ce que le génie d'un humble peut concevoir."
A l'opposé de ce prolétaire, simple piéton
¬rêveur, Gaudi s'affirmait dans son métier d'architecte.
Il menait une vie mondaine et fréquentait désormais
la bonne bourgeoisie de Barcelone et de Mataro, dont la famille
des Moreu et leurs cercles d'amis. On notait dans cette maison
une touche féminine et chaleureuse. C'était la belle
et intelligente Josefa qui enthousiasmait Gaudi.
1922-1926
GAUDI : "Nous savons que rien n'a d'intérêt
sans sacrifice. Le sacrifice est la diminution du moi, sans compensation."
Gaudi s'alimentait de moins en moins, jeûnait souvent et
s'imposait un style de vie très rude. Maintenant, il ne
mangeait plus de viande, se satisfaisait de lait et de quelques
feuilles de salade.
En 1922, F. Cheval achevait son tombeau à 86 ans. Il lui
avait fallu huit ans de travaux et de déplacements incessants
entre sa maison et le cimetière distant d'environ un kilomètre.
Quant à Gaudi, son état de santé empirait.
Brisé par l'arthrite, il se faisait des bandages aux chevilles
et aux jambes. Ces bandages pendaient parfois sous l'ourlet de
son pantalon.
GAUDI :
"Avant même d'avoir six ans, je commençais à
souffrir de crises de rhumatismes articulaires, qui revinrent
à plusieurs reprises au cours de ma vie. Quand je séjournais
à Réus, je me souviens que je devais très
souvent m'y rendre à dos d’âne, car la douleur
m'empêchait de marcher."
Gaudi était devenu un homme abattu, fatigué du
monde. Il trouva peu à peu un refuge exclusif dans la religion.
Désormais, il ne se consacrait plus qu'à la Sagrada
Familia, dont la construction avançait très lentement
par manque de financement. Alors Gaudi osait quémander
un peu d’argent à ses connaissances et se transformait
en mendiant des rues.
G AUDI :
« La pauvreté conduit à l'élégance
et à la beauté. »
« Je me résignais à demander l'aumône
au prix d'une grande violence sur moi-même et je le faisais
très mal. »
En 1924, F. Cheval décéda à l'âge de
88 ans. Il avait pris soin d'établir sa biographie et de
la faire authentifier par plusieurs personnalités, afin
de pouvoir léguer à la postérité non
seulement un tombeau, mais aussi une œuvre et une vie qu'il
s'ingéniait à mettre en scène.
Au début de 1925, Gaudi sentit que ses forces l'abandonnaient.
Il arrêta ses 2 heures et demie de marche. Il finit par
rester dormir dans le lit de fer qu'il avait installé dans
un coin de son atelier au pied de la Sagrada Familia.
GAUDI :
« Au fur et à mesure que mes forces physiques s'amenuisent,
je sens mon esprit de plus en plus agile. »
« Mon ami Maragall mort, puis après mon cher mécène,
le comte Guell, et ensuite le diligent Dr Tooras i Bagès,
je me suis plongé dans la plus totale solitude. Mes grands
amis sont morts. Je n'ai ni famille, ni clients. »
1926
Le 7 juin 1926, Gaudi marchait distraitement dans les rues de
Barcelone. Il n'entendit pas arriver un tramway qui le renversa.
A l'hôpital, on essaya d'identifier ce vieil homme à
la barbe blanche, habillé comme un mendiant. Dans une poche,
on trouva une poignée de raisins secs. Dans l'autre, on
retira un livre tout fripé. C'étaient les Evangiles.
Gaudi mourut deux jours plus tard, il avait 74 ans. Il fut enterré
dans la crypte de la Sagrada Familia à Barcelone. Sa tombe
fut profanée durant la guerre civile espagnole (1936-1939).